La dame de Barenton

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(Conte de Noël païen)

Les grands arbres du chemin se penchaient vers Max sous la caresse d’une brise légère, comme pour le saluer ou faire sa connaissance.

Qui pouvait bien être ce petit bonhomme qui osait s’avancer ainsi, seul dans la grande forêt, son falot oscillant à bout de bras ? Ne savait-il donc pas qu’en cette nuit de Yule les lieux se paraient d’une magie plus forte encore ?

Tout emmitouflé dans sa doudoune rouge, le pompon de son bonnet lui glissant sur les yeux, l’enfançon exhalait un peu de vapeur à chaque souffle.

Haut dans le ciel, la lune semblait fixer la petite main gantée qui tremblait de crainte et de froid.

Ses lèvres serrées et son regard fixé sur le chemin attestaient toutefois de sa volonté.

  • Je vais y arriver ! Même pas peur !

Dans les bosquets, les korrigans le regardaient s’enfoncer un peu plus sur leur territoire à chaque pas avec amusement.

Quelques instants plus tard cependant tous frémissaient au craquement soudain d’une branche.

Cela ne venait pas de l’enfant qui préférait marcher dans les feuilles mortes.

Etait-ce Lui ?

Plus un bruit aux alentours. Toute la forêt s’était figée, jusqu’aux oiseaux de nuit qui s’étaient laissés couler sur les branches les plus proches.

Semblant tout ignorer du danger encouru, Max allait de l’avant. Voilà déjà l’endroit où le chemin se divisait en deux. Brève hésitation, en flottement de l’âme.

  • Maman nous avait fait suivre la flèche avec la fontaine quand nous étions venus.

Plus d’hésitation. Il s’engagea dans le chemin qui s’étrécissait un peu et montait résolument. Max découvrait peu à peu un spectacle d’ombres étranges qui se dessinaient dans les rayons de lune et les lueurs de sa lanterne.

  • Ne regarde pas ! Il n’y a que toi ici ! Aucun monstre caché dans les buissons !

Frémissement d’un genêt aux branches griffues.

  • Personne ne cherche à t’attraper ! Nul ne veut te croquer !

Les korrigans devinaient sans peine, à la raideur des petites jambes, que l’enfant se retenait de courir. Sans qu’il s’en rende compte, il accélérait le pas, son souffle se faisait plus court.

Le chemin n’était plus qu’un sentier habilement tracé par une main humaine. Un cordeau le délimitait, barrière marquée entre deux mondes.

Max escaladait à présent les rochers. Ce qui pouvait passer pour de hautes marches pour des jambes adultes devenait un obstacle de plus.

Poser la lanterne un peu plus haut. Escalader. La ramasser. Surtout ne pas la faire tomber !

Sous le couvert épais des feuillages sombres, cette lueur seule l’éclairait encore.

Dans la fraîcheur de la nuit, la terre sentait l’humus et le parfum des arbres.

Une trouée lui laissa voir une pancarte aux images spectrales. Sans s’y attarder, Max entama une brève descente. Le sentier s’était fait étroit.

Ne pas glisser surtout !

Une remontée encore. Son pied trébucha sur un petit caillou en forme de coeur qu’il ramassa avec un sourire et glissa dans sa poche.

Il se trouva bientôt devant un petit pont de bois enjambant un ruisseau.

  • Tu y es presque ! Courage !

Sans qu’il ne puisse deviner leur présence, les korrigans s’étaient placés autour de lui, fragiles remparts entre l’enfant et Lui.

Cette ombre gigantesque qui barrait d’un seul coup les planches à ses pieds, qu’était-ce donc ?

Max s’immobilisa d’instinct.

  • On dirait un homme maigrichon avec une tête toute ronde ! Il fiche un peu la trouille quand même !

Mais autour de l’enfant, des lueurs parurent et le vent se leva juste un peu plus fort qui chassa sans férir les ombres de la nuit.

  • Des lucioles !

Des lucioles ? Non pas ! Des fées, mais si petites que l’enfant ne pouvait bien les distinguer. Max riait aux éclats après tant de frayeur. Et son rire s’envolait en grelots jusqu’au ciel et jusqu’à la fontaine qu’il découvrait enfin au détour du chemin. Il courut jusqu’à elle, son falot dansant à bout de bras.

Jamais on n’avait ressenti une telle vibration de joie dans la forêt, ni bonheur si pur. Tous en étaient émus.

Max posa sa lanterne sur la pierre du Perron de Merlin et se pencha un peu sur les eaux bouillonnantes plus froides que le marbre.

Sans plus attendre, il retira un gant récalcitrant puis ses doigts se glissèrent tout au fond de sa poche en quête de la pièce.

Cinq centimes. Ce n’était rien et c’était toute sa fortune, trouvée sur le bord d’un trottoir.

Il montra sa pièce à la fontaine un bref instant. La lune se mirait sur le miroir d’eau.

  • Voilà. Cette nuit, c’est Noël. Le cadeau que je veux le plus au monde, le Père Noël ne peut me l’apporter, toi oui !

Petit mouvement des doigts. La pièce s’envola et, dans une arabesque, Plouf !, perça la surface de l’eau avant de tourbillonner jusqu’au fond, en feuille morte, où elle se coucha dans le limon.

Max gardait résolument les yeux fermés.

  • Je fais le vœu de ne plus jamais quitter la forêt et d’habiter en Brocéliande jusqu’à la fin de ma vie !

Bien sûr, même les fées ne peuvent exaucer tous les vœux. Quand ils engagent plusieurs personnes, cela devient trop compliqué.

Alors la lune devint triste et la fontaine soupira.

Max ramassa sa lanterne et poursuivit la promenade d’un pas vif. Le chemin s’élargissait déjà. Aucun obstacle n’entravait plus sa route. Dans la descente, il se prit à courir, les bras largement ouverts sur son rêve.

Une seule pensée l’habitait désormais : être de retour à la maison avant que quelqu’un ne s’aperçoive de sa disparition !

Les jours passèrent, les vacances prirent fin, les parents rangèrent les décorations de Noël, fermèrent la porte du gîte et rendirent les clés.

Dans la voiture qui s’éloignait, Max regarda la forêt aussi longtemps qu’il put à travers les vitres.

Les larmes d’un chagrin trop lourd traçaient des ruisseaux sur ses joues.

  • Allons, Max, sèche tes yeux, nous reviendrons !

Les années passèrent, en alternance de grands bonheurs parmi les arbres de Brocéliande et de grandes tristesses quand il devait s’en éloigner. Et, chaque veille de Noël, les korrigans le voyaient revenir parmi eux, faire le même chemin dans la nuit, escalader des rochers sans plus aucune difficulté, traverser lentement un pont de bois qu’aucun croque-mitaine ne venait plus hanter. L’eau de la fontaine reflétait à présent les cheveux blanchis d’un homme qui a vécu longtemps et le trait lisse d’un bâton de marche.

En cette veille de Noël, une fois encore, il s’apprêtait à jeter une pièce dans les eaux claires, mais son sourire, lui, s’était envolé depuis des lustres.

Max s’adressa à la fontaine en lui parlant d’une voix basse, usée.

  • Voilà, c’est Noël ce soir. Je sais que, cachée quelque part, tu m’entends. Je suis trop vieux pour continuer à venir de la sorte, en pleine nuit. C’est la dernière fois. Je voulais que tu saches que j’aurai aimé cette forêt d’un amour infini. J’ai tellement espéré que tu me permettes de ne jamais avoir à la quitter. La vie en aura décidé autrement.

Max soupira et ce fut comme un lambeau de son âme qui s’extirpait de lui.

  • Tiens ! Voici mon offrande !

Emportant ce petit peu de lui, la pièce traversa l’air, fendit l’eau puis se tut.

Le silence, autour de lui, se fit.

Descendant, d’un rayon de lune, une dame aux longs cheveux d’or, toute vêtue de voiles argentés, se posa doucement sur la margelle.

  • Allons, Max, ne désespère pas ! Réfléchis à ton vœu et dis-le moi une fois encore en gardant bien à l’esprit qu’il ne saurait y avoir de retour possible !

Mais Max n’avait besoin d’aucun avertissement, d’aucune sorte. Ce vœu, il y avait si longtemps qu’il le chérissait au fond de son coeur comme le plus précieux des trésors et la plus belle des espérances !

Ses yeux se mirent à briller, il était à nouveau l’enfançon venu braver la nuit pour toucher son rêve du doigt.

Des grelots de rire dans la voix, il s’exprima d’une voix ferme qui ne laissait aucune place au doute.

  • Je veux faire partie de la forêt ! Je souhaite ne plus jamais avoir à la quitter !

La dame de la fontaine lui sourit gentiment.

  • Qu’il en soit fait ainsi !

Cette nuit-là , personne ne repartit de Barenton. Max avait disparu.

Au petit jour, un promeneur venu quérir du houx aux abords de la fontaine y découvrit un tas de vêtements, comme posés au pied d’un arbrisseau qui n’y était pas la veille encore.

  • Qu’il est drôle ce petit chêne penché ainsi sur la fontaine ! Ma parole, on dirait qu’il veut la protéger !

Ami qui, aujourd’hui, dans les pas de Max, s’en vas visiter la fontaine de Barenton, respecte la forêt ! Dans le coeur de combien d’arbres un coeur d’homme bat encore ?

Véronique Vauclaire (Monségur – 2020)

2 Responses

  1. Rock

    Vraiment superbe.
    A lire sans modération….

    • Véronique Vauclaire

      Merci, Blandine. C’est très gentil 🙂 Joyeuses fêtes à toi et aux tiens. Que ce conte de Noël païen vous accompagne…

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