La surprise

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(Nouvelle)

Petit matin d’octobre un peu frisquet. La bastide semble comme assoupie, prise dans le voile léger des premières froidures. Je me régale à l’avance de ce jour de week-end dont je profite pour ne rien faire. Je traîne à la maison, en pyjama et chaussettes en laine.

La camionnette de la poste se gare devant chez moi. Deux coups de klaxon comme un signal.
J’enfile en un tour de main le gros pull marron déformé par les ans que ma mère m’a tricoté. Je ne ressemblerais à rien finalement sans ce large sourire qui empêche le facteur de remarquer quoi que ce soit de mon accoutrement.
Il faut dire que ce matin, c’est mon anniversaire. Alors même si je me sens très seule, j’ai le cœur en attente de… je ne sais quoi. Et c’est cela qui est bien.
J’ai toujours rêvé qu’un jour, quelqu’un qui m’aime, quelque part, ferait quelque chose de magique, de merveilleux, d’extraordinaire… Quarante-quatre ans, le côté fleur bleue d’une damoiselle de dix-sept, les rêves d’une gosse de dix ans qui croit encore aux fées, au Père Noël et au Prince charmant… Incroyable mélange… Bouquet somptueux composant un être unique : moi !
Ces deux coups de klaxon, c’est peut-être transporter un peu de mes rêves dans ma réalité. En un rien de temps je me retrouve avec un paquet ficelé avec savoir-faire entre les mains. Le cachet, à demi effacé, ne laisse rien transparaître quant à l’expéditeur. Le mystère reste entier.

J’attrape les ciseaux… Crac ! Crac ! La ficelle rompt et tombe sur la nappe aux couleurs fanées, laissant place à un papier cadeau tout de rouge vêtu entouré d’un gros ruban doré. Mes doigts impatients attaquent le nœud noué avec art et patience. Une boite blanche, de forme carrée, protège encore la surprise qui m’est destinée. Je soulève le couvercle pour ne découvrir… qu’un bristol plié !

RENDEZ-VOUS CE SOIR A 20 HEURES SOUS LA HALLE DE MONSEGUR.
TENUE DE SOIREE SOUHAITEE.
En vis-à-vis, une renoncule est dessinée.

Ah ! Ah ! Cette personne me connaît bien décidément… Un rendez-vous secret en cadeau d’anniversaire, moi qui ai l’âme aventureuse, et ma fleur préférée pour parachever l’œuvre…

Qui a bien pu prendre la peine d’organiser tout cela ? J’ai le cœur en émoi… Tout à coup je m’active et ma chambre se transforme en atelier de prêt-à-porter… Une robe par-ci, une petite jupe par là, ce haut ci et celui là…Choisir…Petit problème de fille qui me fait sourire intérieurement.
Ma journée se transforme en un véritable tourbillon qui se termine à dix-huit heures quand, pomponnée et parfumée, je commence à battre de la semelle dans mon salon en me demandant que faire pour accélérer un peu le cours du temps.

Voilà, même s’il ne se passe rien finalement, j’aurai eu une merveilleuse journée d’anniversaire. Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir en dire autant. J’attrape un livre, le referme aussitôt après que mon regard n’ait fait que glisser tout au long de la page sans en comprendre un traître mot. Je m’assieds, lisse ma jupe courte, en retire un poil de Kiki le chat…
(Grrr… cet animal et l’habitude qu’il a prise de se coucher dans mon armoire…)
Je me relève, vérifie mon maquillage au miroir. Mon attente prend la tournure d’une exquise torture.

J’ai décidé que je serais à l’heure, certes, mais pas en avance pour autant. Les minutes semblent des heures.

Mes pensées s’égarent à la recherche de celui, de celle, qui pourrait être l’instigateur de tout cela.
Mon frère ? Toulon est loin de ma bastide et il souffre du dos sur les longs trajets.
Alain ? Il y a longtemps que le coup de foudre qui nous avait unis s’est éteint et l‘amitié qui reste ne déplacerait pas une telle montagne. Marc ? Un peu loin lui aussi, l’ami laissé dans les Vosges natales. Marie ? Jamais elle ne pourrait quitter la Corse et sa petite famille. Anita ? Elle non, c’est sûr, elle a beaucoup trop d’obligations professionnelles et des week-end inexistants. Hubert ? Mon ami globe trotteur s’est trouvé une compagne qui l’accapare à chacune de ses « escales ». Hervé ? Ses ados le monopolisent à temps plein ces temps-ci… La vie d’un papa solo n’est pas un fleuve tranquille. Sonia ? Tout entièrement dévouée à ses petits-enfants.

Je réalise que j’ai beaucoup d’amis, semés au loin, aux détours de ma vie et de mes pérégrinations. Mais aucun d’eux en fait n’aurait pu être l’auteur de cette invitation.
Alors… Y aller.. Ou pas ?!
J’entends sonner dix-neuf heures au clocher. J’habite à cinq minutes de la halle, juste au bout de la rue. J’ai tout mon temps.

Comme il est drôle de voir parfois que notre bonheur tient à peu de choses… deux coups de klaxon, un nœud doré, une boîte carrée, un bristol plié…

Je me mords la lèvre. Je souris. Difficile de garder contenance.
Je ne sais toujours pas ce qui m’attend et, avec les minutes qui passent, montent mon impatience et un trac incroyable. Comme une artiste s’apprêtant à faire son entrée en scène un soir de première, je me prépare aussi.

Moins le quart. Je passe mon manteau, enroule mon écharpe. Je franchis la porte et donne un tour de clé. Un pas. Deux pas. Mes talons claquent sur les pavés. Le sort en est jeté.
De grandes bâches ont été tendues tout autour de la halle, pour protéger de la pluie et du vent. J’entends déjà la musique à hauteur de la maison de la presse. Un bon vieux rock. Il y a de l’ambiance par là…
Je m’approche à pas lents. Il n’est pas encore trop tard pour rebrousser chemin.
Une ombre à contre-jour, pantalon noir et chemise blanche, s’avance à ma rencontre…Léo, mon premier ami sur un site internet.
– Bonsoir Lucie ! Joyeux anniversaire, ma belle !
– Bonsoir Léo.
Une bise. Deux bises… Lui est tout sourire. J’ai les yeux qui me piquent un peu. Je suis émue.
– Allez viens ! Tout le monde t’attend !
A l’intérieur, des tables ont été dressées, de même qu’un buffet, un orchestre invité.
L’équipe est là au grand complet… Mes amis virtuels, si proches de moi ce soir.

Véronique Vauclaire (2012)

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